C’est dans un contexte d’Eglise pleine d’amertume et de désarroi dans notre diocèse que nous célébrons Ste Elisabeth de Hongrie, notre Sainte Patronne, veuve à 24 ans, mère de 4 enfants, sainte pour avoir vécu la charité toute sa vie. En célébrant cette sainte femme, nous sommes marqués non pas seulement par des révélations d’abus sexuels cachés, mais par la mise à nu d’identité de prêtre en souffrance dans sa vie d’homme en société, et prêtre pour les hommes. Ce qu’a fait le père Yannick pour être incarcéré est si loin de ce qu’il a toujours été pour tous les fidèles qui l’ont toujours connu : un pasteur vraiment admirable et attachant, digne de son ministère. Mais voici, l’actualité de sa vie cachée nous bouleverse tous et nous interpelle sur la dignité du prêtre serviteur.
Une autre nouvelle s’ajoute à celle-là, qui n’est pas du tout un scandale. Mais un évènement unique, jamais connu auparavant. Le père Ivan Brient, qui avait dit oui pour être notre évêque auxiliaire, consacré le 4 décembre prochain, vient finalement de renoncer à cette mission. La charge lui est apparue beaucoup trop lourde depuis son oui à cette mission, au point d’être aujourd’hui au bord du burn out. Avec courage, et lucidité, éclairé par son médecin, il vient de dire non à son oui initial à l’épiscopat. Cela montre aujourd’hui combien de fois, être pasteur reste une grâce dans un corps fragile et indigne.
Dans une prière eucharistique, la liturgie fait dire avec audace « Car tu nous as estimés digne de nous tenir devant toi pour te servir ». A l’entendre, cela peut choquer les oreilles attentives. Et pourtant…Comment peux-tu Seigneur nous estimer digne de ce mystère qui nous dépasse, avec ce que nous sommes de caché ? L’Apocalypse de st Jean que nous venons de lire vient nous éclairer sur cette confiance de Dieu qui nous dépasse, dans nos fragilités et insuffisances à tous.
« Puis j’ai vu un ange plein de force, qui proclamait d’une voix puissante : « Qui donc est digne d’ouvrir le Livre et d’en briser les sceaux ? » Mais personne, au ciel, sur terre ou sous la terre, ne pouvait ouvrir le Livre et regarder. Je pleurais beaucoup, parce que personne n’avait été trouvé digne d’ouvrir le Livre et de regarder. Mais l’un des Anciens me dit : « Ne pleure pas. Voilà qu’il a remporté la victoire, le lion de la tribu de Juda, le rejeton de David : il ouvrira le Livre aux sept sceaux. » Personne n’est digne si ce n’est l’Agneau immolé, Jésus seul. Personne d’autre que Jésus seul. C’est lui qui estime en nous la grâce de pouvoir ouvrir le Livre Saint, c’est lui qui l’établit en nous.
Cependant, en chacun de nous, quelles que soient nos fragilités, il y a une grâce en laquelle Dieu fait confiance. C’est pourquoi dans l’Evangile, St Luc attire notre attention sur ce qui peut nous fermer les yeux sur cette grâce :
« En ce temps-là, lorsque Jésus fut près de Jérusalem, voyant la ville, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si toi aussi, tu avais reconnu en ce jour ce qui donne la paix ! Mais maintenant cela est resté caché à tes yeux. Parce que tu n’as pas reconnu le moment où Dieu te visitait. ».
Chaque fois que la grâce entre en nous, c’est-à-dire, la Pure Gratuité, c’est Dieu qui nous visite. Je voudrais donc nous convoquer à cette interpellation : Tous ceux qui sont découragés, effondrés, désespérés, ou aveuglés par l’indignité des serviteurs. De quelque façon que ce soit, Dieu vient toujours visiter son peuple, gratuitement. Et Jésus pleure sur notre ville lorsque nous fermons la porte à sa visite, lorsque nous fermons la porte à son Eglise.
Sainte Elisabeth de Hongrie a bien connu ces moments où elle trouvait grâce dans ses épreuves. Face à la promesse de son mariage diplomatique avec le Duc de Thuringe, elle craignait de ne pas aimer et de n’être pas aimée. Voilà qu’elle a vécu un mariage heureux avec celui qui est devenu le roi son époux.
Elle craignait de ne point vivre sa dévotion aux pauvres, menacée d’être expulsée du royaume à cause de ses œuvres de charité, de ses attitudes discordantes avec les codes de la royauté, vendant les parures du palais pour subvenir aux besoins des pauvres, elle a su trouver en Louis, un protecteur. Elle était simplement ouverte à la visite de Dieu dans l’adoration et le service au frère.
Dieu visite son peuple par sa grâce. Encore aujourd’hui, à chaque eucharistie. C’est Jésus qui célèbre, l’Agneau immolé. Cette visite, c’est chaque fois le moment où Dieu veut nous sanctifier parce que nous ne sommes pas dignes, mais faits pour la sainteté. Et alors que nous avons chanté : Peuple de prêtre, assemblée des saints, je reprends les mots forts de Mgr Éric de moulin-Beaufort prononcés à Lourdes le 8 novembre dernier :
« L’Église n’est pas sainte parce qu’elle serait faite de saints uniquement ; Elle est sainte parce que, par elle, le Seigneur Jésus enfante à la sainteté les pécheurs que nous sommes. Le saint est celui qui apprend à reconnaître ses abîmes intérieurs et qui choisit de s’en écarter par amour pour le Christ…L’Église sainte n’est pas la réunion des « gens bien » ; elle est la communion que tâchent de vivre des pécheurs pardonnés, non pas amnistiés, non pas dispensés d’assumer leurs actes, mais pardonnés et rendus forts par le pardon de Dieu. La sainteté de l’Église n’est pas l’absence de péché de ses membres mais la capacité de tout le Corps d’accompagner chaque membre dans ce combat de lumière et de paix ».