La guérison du lépreux… ou quand l’exclus réintégré devient disciple-missionnaire
La lèpre… Tout le monde connaît puisque, il y a deux semaines, des personnes de la fondation Raoul Follereau faisaient la quête à la sortie de l’église pour collecter des fonds afin de soigner les malades de ce fléau toujours présent dans certaines parties du monde. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé concernant cette maladie, on la soigne, on ne fait pas des malades des exclus, même s’il faut momentanément les mettre à l’écart. C’est une protection pour eux-mêmes et pour éviter la contagion.
A l’époque des Hébreux, et jusqu’au temps de Jésus, les lépreux étaient considérés comme impurs, sanitairement, mais aussi spirituellement. On ne plaisantait pas avec cette maladie. Ils n’avaient pas inventé le couvre-feu, ni le confinement, mais ils pratiquaient la mise à l’écart. “Son habitation sera hors du camp.” On ne leur imposait pas le masque, mais ils devaient se couvrir le visage, avoir des vêtements déchirés et les cheveux en désordre. L’exclusion sociale et l’humiliation en plus de la maladie. La triple peine.
Si j’insiste sur tout cela, c’est pour bien mesurer l’ampleur de la transgression commise par le lépreux de l’évangile. Lui, l’impur, il aurait dû s’éloigner très loin de Jésus et de ceux qui l’accompagnaient. Il lui était interdit de s’approcher. Au contraire le voilà qui vient jusqu’à tomber aux pieds de Jésus. Pas de grands discours, mais quelle foi dans ces quelques mots : “Si tu le veux, tu peux me purifier”! Pour passer outre un tel interdit il fallait une confiance sans faille. Nous ne sommes qu’au premier chapitre de l’évangile de Marc, mais déjà Jésus a fait des miracles et sa réputation le précède dans les lieux où il passe.
Devant une telle demande, Jésus ne se dérobe jamais. Pourtant s’il avait appliquer strictement la loi, il aurait dû s’écarter pour se préserver. Mais, lui qui est venu nous dire tout l’amour de son Père pour chacun et particulièrement pour les plus écrasés, il se laisse toucher, par la foi mais aussi par la souffrance de cet homme. Le texte nous dit : “Saisi de compassion”. Derrière le terme compassion, il y a un mot hébreu qui veut dire que Jésus en avait “mal aux tripes”. Plutôt que de s’écarter, il s’approche encore plus, étend la main, et touche le lépreux. Nouvelle transgression, qui le rend à son tour impur au regard de la loi juive. Mais Jésus brise les interdits quand ils sont inhumains et que ce qui est en jeu c’est le salut de l’homme sous toutes ses formes, car rien de ce qui est inhumain ne peut s’accorder avec le projet de Dieu pour l’homme. Geste de Jésus qui a dû faire un bien fou au lépreux : rendez-vous compte, personne ne l’avait plus touché depuis qu’il était malade. Il a dû se sentir à nouveau reconnu, digne d’être touché, et surtout aimé; en quelque sorte déjà un peu réintégré dans une relation.
Mais on pourrait dire que cette transgression se fait dans la discrétion. Pas de merveilleux. Un geste, une parole, mais quelle efficacité ! Jésus répond exactement à la demande du lépreux : “Je le veux, sois purifié”. Et le “aussitôt” si cher à Marc se transforme en “A l’instant même”. C’est encore plus immédiat. Il est purifié, instantanément ! Pas seulement guéri, purifié. Ce qui va plus loin. La guérison est physique bien sûr, mais aussi légale (ce qui le rend réintégrable), et c’est également une guérison morale : puisqu’on associait maladie et péché, s’il n’y a plus de maladie, il n’y a plus de péché.
Discrétion encore : “Attention, ne dit rien à personne, mais va te montrer au prêtre”. Contradictoire ? Non. A personne, sauf au prêtre car c’est la condition incontournable pour être réintégré dans la société.
Vous imaginez la bouffée d’oxygène pour l’ex-lépreux ! C’est comme si aujourd’hui on disait à des grands-parents : Vous voilà vaccinés. Vous pouvez recommencer à voir vos enfants et petits-enfants autant que vous voulez et les serrer dans vos bras. Ouah !
Que fait Jésus suite au fait que l’homme se met à répandre la nouvelle ? Eh! Bien, il “ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts”. Volonté de fuir la foule ? Je pense plutôt qu’à partir du moment où c’est connu qu’il a touché le lépreux (et ça allait aussi vite que par les réseaux sociaux actuels), Jésus sait qu’il est considéré par les légalistes comme ayant été contaminé par la soi-disant impureté de l’homme malade, et qu’à son tour il doit se tenir à l’écart. Comme les cas contact ! Aussi il se soumet à la loi juive. Mais ce n’est pas un problème puisque “de partout on venait à lui”.
Outre la maladie elle-même, nous avons aujourd’hui de multiple lèpres à éradiquer pour bâtir le Royaume d’Amour voulu par Dieu : Jalousie, haine, violences de toutes sortes, chacun pour soi, recherche du profit au détriment de l’homme, l’argent-roi, etc…, sans parler des fléaux que sont le chômage, la précarité, la faim, le racisme… Et c’est à nous que Dieu confie la mission de lutter contre toutes ces lèpres afin que chacune, chacun puisse vivre dignement, dans le respect et la fraternité.
A la veille d’entrer en carême, demandons-nous : De quelle lèpre, aujourd’hui, ai-je besoin d’être purifié ? Ai-je l’humilité de me rapprocher de Dieu et de lui demander de me purifier ?
Quel regard je porte sur ceux qui sont mis à l’écart, blessés par la vie, souffrants ? Un regard d’exclusion, ou un regard de compassion qui relève et réintègre ?
Quels moyen je prends pour rester proche des plus faibles en ce temps de distanciation sanitaire ?
Seigneur, donne-moi une compassion semblable à la tienne pour qu’à mon tour je me laisse touché par mon frère souffrant et lui vienne en aide.